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Conquérant de l’Oisans sauvage: Capitaine Adrien Durand

escalades_alpes_whymper_1872_pelvoux_mont-dauphinLe nom de Pelvoux vient de l’occitan « pelvo », qui signifie haute montagne. Longtemps considéré comme le plus haut sommet du massif et de toutes les Alpes Françaises (avant l’annexion de la Savoie), le Pelvoux est une immense montagne de neige et de roc, un véritable massif à lui tout seul. C’est parce que, de la vallée de la Durance, sa masse imposante cache une bonne partie du massif des Ecrins, que le Pelvoux était pris pour la plus haute montagne de la région, et cela explique aussi pourquoi il a longtemps donné son nom au massif tout entier. Il comprend quatre sommets assez individualisés :

  • la Pointe Puiseux (3 946 m, point culminant)
  • la Pointe Durand (3 932 m)
  • le Petit Pelvoux (3 753 m)
  • les Trois Dents du Pelvoux (3 682 m)

La première ascension fut effectuée en 1828 par le capitaine Adrien Durand, Alexis Liotard et Jacques-Étienne Matheoud (chasseurs de Chamois). Il est probable qu’ils soient également montés à la pointe Puiseux mais le capitaine Durand n’en fait pas mention. On lui attribue donc que la première à la pointe Durand. C’est la s[econde ascension, réalisée en 1848 par Victor Puiseux et le guide Barnéoud, qui donnera son nom au point culminant.

Mais qui était donc ce capitaine Durand qui osa conquérir cette montagne à une époque ou l’ascension d’un sommet de 4000 mètres représentait un exploit exceptionnel et pourquoi son nom n’est il pas associé au sommet principal ? C’est ce que je vais vous conter …

illustrations_passes_alps_varsAu début du XIXe siècle, certain territoire restait très mal connu, notamment les régions montagneuses. A cette époque, on ne connaissait pas avec certitude le point culminant de la France (suite aux traités de Vienne (1815), la Savoie et le Mont Blanc n’en faisaient plus partis), on le situait dans les Alpes Dauphinoises et il était admis que cette suprématie revenait au Pelvoux. La carte de Cassini, établie vers 1750 devenait insuffisante, et en 1818, pour des besoins militaires, il a été décidé de lever une nouvelle carte.

L’élaboration de cette nouvelle carte se fera au travers de triangulations, et c’est au capitaine Durand, du corps des ingénieurs géographes, polytechnicien, spécialisé en géodésie et triangulation, que va revenir, en 1823, le lourd honneur de trianguler le sud-est de la France. Le voile d’incertitude qui couvre encore les Alpes Dauphinoise va être levé par cet homme apprécié pour son travail technique mais pas pour son franc-parler.

Il va ainsi passer plusieurs années de sa vie à son devoir de géodésie, labeur harassant jamais reconnu à sa juste valeur par sa hiérarchie. Les bureaux de Paris ne discerneront jamais très bien qu’il est plus difficile d’opérer sur un sommet de 3000 mètres que sur les collines du Poitou. De cette incompréhension résulteront des programmes trop lourds. Il finira épuisé, et s’éteindra en 1835, à 48 ans, usé par la folie, sans avoir pu accéder aux grades supérieurs que semblaient lui promettre ses travaux. Ses comptes-rendus trop laconiques et factuels n’ont jamais mis en avant son opiniâtreté, sa persévérance et les souffrances qu’ont nécessitées ses travaux.

Ainsi la rumeur attribuait, en ce début de XIXe siècle, au Pelvoux la suprématie de l’altitude. Le capitaine Durand décide donc, d’inclure le Pelvoux dans la liste des sommets à gravir pour réaliser ses triangulations. Ce choix témoigne d’une incontestable audace et caractérise un homme d’une trempe exceptionnel, en effet, se lancer à l’assaut d’un tel sommet à cette époque relève de l’exploit.

escalades_alpes_whymper_1872_pelvoux_IC’est donc tout simplement pour son travail, que notre homme va réaliser cette ascension. En 1828, il entre en Vallouise avec l’intention de recruter deux « guides » afin de le conduire au sommet du Pelvoux. Le choix s’est porté sur ce sommet après qu’il eut envisagé de gravir la Meidge (Meije) qu’il a estimé trop excentrée, puis après avoir écarté la Pointe des Arcines (Barre des Ecrins) de ses projets car il la jugeait peu propice à l’établissement d’un campement, la construction d’un signal et l’installation du théodolite.

C’est donc avec deux chasseurs de chamois, Alexis Liotard et Jacques-Étienne Matheoud, qu’il se lance le 30 juillet 1828 à l’assaut du sommet. Cette ascension sera réalisée au départ du vallon de Celse Nière, puis l’itinéraire gravi les rochers et pentes de neige raides le long du glacier du Clos de l’Homme qui donnent accès au plateau sommital du Pelvoux. Ils y découvrent deux pointes, l’une dépassant l’autre d’une dizaine de mètres, et décide de construire le signal sur la plus basse, sans doute plus propice à son édification. Cet édifice sera construit quelques jours plus tard, ou il remontera au sommet avec une dizaine de porteur et s’attachera à mesurer l’altitude précise du signal depuis les sommets alentours. Ces signaux étaient d’immenses cairns creux agrémentés d’ouvertures, dans lesquels on pouvait placer le théodolite et viser d’autres sommets. Ils servaient de mire, de sommets en sommets, afin d’en déterminer l’altitude par triangulation. C’est aussi lors de cette ascension, qu’il découvre à quelques kilomètres un sommet à coup sûr plus haut que le Pelvoux, la Barre des Ecrins.

Deux ans plus tard, le Capitaine Durand remonte au Pelvoux, du 6 au 9 août, afin d’effectuer des mesures. En plus de l’ascension, il faut voir que ces hommes, contrairement aux Alpinistes, qui une fois le sommet atteint se livrent à la contemplation, se mettaient au travail. Il fallait installer le théodolite, et ce ne devait pas être facile de caler un tel instrument sur des blocs branlants, puis effectuer les mesures d’angles tout cela à 4000 mètres.

Ses travaux et calculs achevés, il pu livrer les altitudes des principaux sommets du Haut Dauphiné, les plus élevés du territoire Français : 3937,59 m au grand signal du Pelvoux, 3984,6 m à la Meidge et 4105,1 m à la pointe des Arcines dite des Ecrins et établit de manière irréfutable le statut de plus haute cime à la Barre des Ecrins. Chose dont il était lui même convaincu depuis qu’il s’était rendu au sommet du Mont Ventoux quelques années auparavant, par une journée suffisamment claire pour distinguer les pics enneigés du Haut Dauphiné.

peaks_passes_glaciers_II_carteLa postérité ne gardera de lui que ces chiffres. Le bilan de cette vie trop brève nous a été livré par un historiographe « Né aux gorges du Tarn, il avait voulu y revenir ; puis, saisi par la montagne, il s’était épris définitivement, à sa manière : sept campagnes qui mises à la suite représentent quatre ans pleins, cinquante sommets tous gravis deux fois, même trois (le Pelvoux), et non seulement gravis, mais habités ; deux cents nuits à côté des signaux, la fatigue jusqu’à la mort. Son but ? D’un seul acte longuement et passionnément poursuivi, jeter comme un colossal épervier l’invisible réseau de ses triangles, et y prendre les Alpes … »

Vingt ans après la première ascension du Pelvoux, voici qu’un voyageur arrive en Vallouise. Il s’appelle Victor Puiseux. C’est un Alpiniste et aussi un des membres fondateurs du CAF (Club Alpin Français). A la vue du grand Pelvoux, il est carrément envouté. Il se renseigne sur son histoire et apprend les faits d’armes du capitaine Durand. L’un des guides de 1830, Pierre-Antoine Barnéoud âgé de 64 ans, l’accompagne mais stoppera sous les Rochers Rouges et Puiseux terminera l’ascension en solitaire. La narration qu’il fera de son ascension laisse penser qu’il a bien foulé le point culminant auquel la postérité donnera son nom, que le signal géodésien érigé par le capitaine Durand était encore en bon état et qu’il a distingué un sommet plus élevé que le Pelvoux, chose qu’il semblait ignorer.

Le nom de Puiseux, second ascensionniste, sera associé au sommet le plus élevé (3946m) alors que celui de Durand ne le sera qu’au second (3932m). Tout cela parce que le capitaine Durand à choisi sa construction sur le second sommet et qu’il n’aurait pas foulé le sommet principal différent de 14 m d’altitude ! Le capitaine Durand n’était pas homme de lettres mais homme de chiffres et il semble difficile de croire qu’au travers de ses trois ascensions, il n’ait pas foulé le sommet principal et ce malgré l’insinuation de Puiseux qui au travers de son propos laisse planer le doute sur la non ascension du sommet principal par le capitaine Durand. Il parait si évident lorsque l’on est sur ce plateau sommital du Pelvoux, à plus de 3800m d’altitude, qu’il faille aller faire un tour au véritable sommet, que ni Durand ni Puiseux n’en ont parlé. Durand s’attarde sur le sommet rocheux car il y a fait toutes ses mesures, Puiseux car il a eu la curiosité de s’y rendre pour voir le signal, la « pyramide » de Durand. Le sommet principal, lui, est incontournable et ne nécessite aucun commentaire.

Sources :
https://fr.wikipedia.org
http://www.escalade-aventure.com
http://www.bibliotheque-dauphinoise.com/index.html
Durand du Pelvoux, par Roger Canac, De Borée Editions.
Balaitous et Pelvoux, Par Henri Béraldi, Rando Editions.
La saga des Ecrins  par François Labande, édition Guerin
La Barre des Ecrins par Henri Isselin, Arthaud

Conquérant de l’Oisans sauvage: Maurice Fourastier

Ce nom figure dans plusieurs itinéraires de grandes envergures, face nord de la Meije, du Vallon des Etages, de l’Etret, du Pelvoux, de l’Ailefroide, du Râteau, …

Né en Algérie en 1901, c’est un personnage brillant dès sa jeunesse. Il est à la fois doué pour le sport avec de fortes capacités athlétiques et pour les études, il est directeur d’école à 23 ans.

En été 1931, il débarque à Vénosc en parfait touriste avec toute sa famille et côtoie les alpinistes locaux qui lui donnent sans doute cette envie de conquérir les cimes (ce n’est cependant pas un novice, il a déjà réalisé des ascensions dans les Pyrénées). Coutumier de l’Oisans dès l’année suivante, il réalise plusieurs courses classiques. Sa progression va être extrêmement rapide et il va effectuer entre 1933 et 1938 bon nombre de premières et pas des moindres.

Dès 1933, c’est en face nord de la Meije qu’il officie avec Casimir Rodier en réalisant la première ascension par le couloir en Z. Itinéraire mixte très difficile de 750 m ou se mêle rocher et glace. Même si cette voie s’échappe de la face nord en sortant à la Brèche du glacier Carré, elle reste une ligne évidente qui utilise au mieux le terrain. Il faudra attendre 1947 pour que soit réalisé la sortie directe du Z puis 1962 pour la directe à la Meije.

Jusqu’en  1939, il va explorer de nombreux secteurs du massif avec de très belles réussites.

Arête ouest des Fétoules en 1934 avec Henry Le Breton. Cette même année, il rate avec le même compagnon de cordée la directe sud au Grand Pic de la Meije et ce pour une dispute ridicule qui les stoppe à proximité des vires du glacier Carré. Il faut dire que le personnage est haut en couleur avec un caractère affirmé, expansif, le verbe sonore, c’est le chef …

En 1935, face nord de la pointe du Vallon des Etages réalisée avec Maurice Laloue et H. Le Breton puis le couloir nord-est de l’Etret avec H. Le Breton et Alexandre Manhès. Deux itinéraires très difficiles tracés sur des parois austères et situés dans le sauvage Vallon des Etages.

Trois grandes premières en 1936 avec la découverte du glacier noir et de ces versants nord. Eperon nord-ouest du Pic du Coup de Sabre le 30 juillet avec H. Le Breton, arête nord de la Pointe Puiseux avec A. Manhès en deux jours les 22 et 23 août et enfin face nord de l’Ailefroide Centrale le 1er septembre avec H. Le Breton et A. Manhès. Premier itinéraire ouvert dans le versant du glacier noir de l’Ailefroide. Ce sommet porte aujourd’hui le nom de pointe Fourastier.

En 1937, face nord de l’Aiguille du Plat de la Selle et arête ouest-nord-ouest du Pic Maître. Cette même année, il rencontre Andéol Madier de Champvermeil et réalise début septembre la directe en face sud de la Dibona.

L’année suivante, encore une première à l’arête ouest des Aigles puis il réalise avec A. Madier une course majeure dans la sévère face nord du Râteau les 18 et 19 août 1938. Il faut noter que les deux compères avaient échoués à 150 mètres du sommet vingt jours auparavant, signe de la force de ces hommes capables de s’aventurer dans ces terribles faces nord qui nécessitent non seulement d’être un excellent alpiniste capable d’évoluer sur des terrains glacés et sur rocher délité mais aussi une volonté à toute épreuve !

On peut rajouter le parcours des arêtes de la Muzelle, une nord-ouest à l’Olan et aussi des excursions dans le massif du Mont Blanc avec la face nord des Grandes Jorasses, la face nord des Droites, …

En 1939, la guerre et la mort de son camarade A. Madier à la Dibona mettent fin au projet d’expédition dans l’Himalaya qui aurait été conduite par Maurice Fourastier.

Comme beaucoup d’homme, il part au front. Démobilisé en 1940, il explore en tous sens le massif de Djurdjura en Algérie, fait nombre de premières, participe à la construction de refuges, trace des sentiers, crée des écoles d’escalade, …

1942, les troupes alliées débarquent en Algérie. Il crée avec le Général de Montsabert  les « Corps Francs d’Afrique ». Capitaine d’une compagnie de commandos de choc, il se distingue avec ses hommes en Tunisie en 43 et est cité plusieurs fois à l’ordre de l’Armée. Il débarque en Italie fin 43. Début 44, alors qu’il conduit son détachement, il est salement touché à la jambe et échappera de peu à l’amputation. A force de courage et de volonté, il remarche avec des béquilles en 1947 et miracle, en 1951, il reprend le piolet. La haute montagne ne lui permet plus l’exploit mais il réalise néanmoins encore une première à l’arête sud de la Pointe Brevoort en 1954 avec Paul Keller.

Parallèlement, il réalise un grand projet qui le tient à cœur avec la création d’une école technique professionnelle à Notre Dame d’Afrique sur les hauteurs d’Alger.

Le 19 octobre 1961, l’année de sa retraite, il parcourt avec son ami Henry Le Breton les arêtes de St Robert dans les Alpes Maritimes. On les retrouve tous les deux encordées, corps brisées au pied de la paroi. Ils seront ensevelis ensemble au cimetière de St Martin de Vésubie.

Encore aujourd’hui, ses ouvertures forcent le respect par le courage qu’il fallait pour partir à la conquête de ces faces austères. Un homme d’exception passionné d’Oisans sauvage …

Sources :
www.piedsnoirs-aujourd’hui.com
Oisans nouveau, Oisans sauvage livre ouest de JM. Cambon
Les 100 plus belles du massif des Ecrins de G. Rebuffat